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“L'identité architecturale de Montréal : entre intégration et différence ?”, par Antonin Labossière

Habitations Sainte-Germaine-Cousin, par la firme Rayside Labossière

Montréal!

Est-ce que Montréal est belle?


Qu'est-ce qui définit qu'une ville est belle?

Plusieurs amateurs et connaisseurs répondront que c'est son architecture, l'homogénéité de ses façades.

Le cœur de Paris est souvent cité pour sa beauté.  Figée dans le temps, elle représente, pour plusieurs, un idéal d'harmonie.


La beauté des villes est souvent associée à leurs quartiers historiques, à leur authenticité.

Québec est exceptionnelle pour sa vieille ville. On aime les vieilles pierres, les vieilles briques et les ornementations des autres époques.

Pouvons-nous nommer des villes ''récentes'' que nous trouvons belles?

Les villes nouvelles ne sont jamais constituées de petites maisons bien collées les unes aux autres, suffisamment semblables mais à la fois différentes, par leur couleur ou leurs détails.  Les villes nouvelles sont logiques, rationnelles, planifiées.

Elles possèdent rarement des rues tortueuses improbables.  Les villes nouvelles ne déplacent jamais les foules pour admirer leurs immeubles authentiques, leurs façades économiques, ou encore la largeur de leurs rues efficaces. 


Tous en conviennent, architectes, urbanistes, planificateurs, fonctionnaires, élus, citoyens divers, lorsque l'on construit du nouveau, on souhaite que ce soit beau. 

Si la construction prend place dans une belle rue, on souhaite que la nouvelle construction participe à maintenir la beauté de la rue.  Si la construction prend place dans une rue laide, on souhaite qu'elle embellisse un peu.  


Il est surprenant de constater que peu de constructions neuves s'attirent des compliments. Ces boîtes carrées qui comblent des dents creuses ou qui s'alignent dans de nouvelles rues suscitent rarement l'émerveillement, ou minimalement l'approbation inconsciente du passant.  Elles font presque toujours sourciller.

Le mot sera alors utilisé.  Ce mot qui veut tout et ne rien dire à la fois: l'intégration.

Chacun parlera de mieux intégrer les constructions neuves, de s'intégrer à la rue, de s'intégrer à ses voisins.  

Au moment où la proposition de la Charte des valeurs du Parti québécois provoquait un débat intense dans un Québec ouvert et accueillant, et que c'est à Montréal que la proposition était la plus vivement critiquée par ses habitants multi-ethniques, il est intéressant de noter que l'intégration en architecture vise souvent les mêmes objectifs.

L'intention est de s'intégrer harmonieusement à son lieu d'accueil.

Cette intégration est une histoire fabriquée, une conception basée sur des années d'expérience, mais surtout un discours, tantôt idéalisé, tantôt craintif de perdre ou de gagner quelque chose.  L'intégration parle d'identité, de ce que l'on veut transmettre, de ce que l'on ne veut pas oublier.   

Et c'est bien là qu'apparaît tout le paradoxe Montréalais avec son architecture. 

Montréal la plurielle, la diverse, la multiethnique, celle-là même qui semblait refuser une charte ou qui voit avec méfiance une volonté de gommer les différences, se raconte une autre histoire avec son architecture. 


Un discours s'est développé au courant des 20 dernières années dans les arrondissements montréalais, dans ses divisions d'urbanisme. Une histoire s'est racontée chez les planificateurs de la Montréal du futur. L'intégration, mais sous une certaine forme, sous ses justifications bien à elle, a tranquillement fait son chemin. 

On ne peut lui en vouloir à ce discours devenu dominant qui a probablement pris ses racines dans un postmodernisme des années 80 qui voulait reconstruire la ville et corriger les erreurs des années précédentes qui avaient vu la volonté de modernisation procéder à de grandes démolitions. 

L'expressivité des années 60 en architecture et les surprenantes expériences des années 80 aux couleurs rose ou verte, combiné à la valorisation d'un patrimoine ouvrier et modeste, ont convaincu qu'il fallait agir avec plus de respect, de doigté, de sens de l'homogénéité dans nos formes urbaines.



Pourtant Montréal est loin d'être homogène dans son architecture. Montréal est particulièrement hétéroclite, diverse, colorée.

Voilà peut-être pourquoi nous ne la trouvons pas belle.  

Nous aimons le Vieux-Montréal, le Plateau Mont-Royal et quelques petits quartiers authentiques, mais Montréal est plus neuve que vieille, plus planifiée qu'accidentelle, plus efficace que tortueuse.


Pourquoi ainsi s'est développé ce discours sur l'intégration et la volonté d'homogénéiser Montréal ? Parce que nous définissons ainsi la beauté, par la recherche de l’homogénéité. 

N’est-ce pas là l’erreur qui nous mène à ne pas accepter la vérité ? Pourquoi imposer la brique, pourquoi préférer les fenêtres verticales, pourquoi privilégier des couronnements sur les bâtiments neufs qui n'ont pas d'ornementation, pourquoi fixer dans le temps une idée de beauté ?


L'Histoire nous a appris que les goûts et les sociétés changent. Classicisme, Gothique, Renaissance, Modernité et tous les Néo- qui se sont succédés sont autant de formes architecturales et urbaines qui ont raconté la ville et ses habitants. 

Nous savons bien que l'histoire se poursuit et qu'elle ne peut être attachée à une époque idéalisée, ou pire à la construction d'un discours fabriqué sur une ville qui n'est pas la nôtre. 

Montréal ce n'est pas Paris, Venise ou New York.


Montréal n'est pas uniforme, elle grandit encore, travaille à structurer le cœur de plusieurs de ses quartiers, cherche à dynamiser ses artères. Montréal se prive de l'audace dont elle est capable. 

Le manque d'innovation systémique en architecture devrait animer les débats, déchirer les passions.  Alors que tous, ou presque, réclament plus d'audace et d'innovation dans nos villes, pourquoi ne diagnostiquons-nous pas l'architecture peu inspirée qui pullulent. 

La crainte de ne pas bien s'intégrer a transformé le travail de l'architecture en une recette tiède et peu relevée.  À vouloir respecter les immeubles voisins, la rue, l'identité de la ville, on en a oublié que Montréal pouvait continuer d'évoluer et d'ajouter ses nouvelles couleurs à une identité réelle et non artificielle.


Frank O. Gehry, architecte du célèbre et iconique musée Guggenheim de Bilbao, demandait pourquoi plusieurs professionnels et moins professionnels de l'aménagement critiquaient ses réalisations alors que plus de 90% des nouvelles constructions étaient scandaleusement inintéressantes, banales et laides.

Walt Disney Concert Hall, dessiné par l’architecte Frank O. Gehry

Préférons-nous vivre dans une ville qui risque de nous surprendre en tournant un coin de rue ou dans une métropole qui aime se raconter des histoires sur son passé et emballer ses nouvelles constructions de mensonges?

L'audace réside dans cette volonté de respecter son passé, mais sans oublier de lui donner une nouvelle vie et de ne pas craindre d'ajouter des couches à une identité plus riche qu'une simplification de procédés d'intégration.

Et si nous apprenions aussi à apprécier et à célébrer la différence en architecture…


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PROJET PORTÉ PAR
Paul Hugo Baptiste