LA DISTILLERIE CIRKA: le goût des défis et des arômes de qualité
En 2014, les Distilleries Cirka voient le jour grâce à leur fondateur éponyme, Paul Cirka. Grâce à son équipe, il relève depuis le défi de confectionner des spiritueux uniques en leur genre. La jeune distillerie est la première de la province à tout faire « du grain-à-la-bouteille » grâce à son propre alcool de base élaboré à partir de grain moulu et distillé sur place. De la base de maïs conçue pour élaborer l’ensemble des spiritueux jusqu’aux bases du whisky 100% seigle et 100% orge : le grain y est québécois ! Le mot d’ordre de la maison est de représenter le terroir régional en travaillant avec des produits qualitatifs pour des alcools faits avec patience et passion. Dans cette distillerie, la recherche et le développement importent depuis les différentes phases expérimentales réalisées en équipe où tous et toutes soumettent de nouveaux projets jusqu’au produit final. Ce métier, c’est celui d’Isabelle Rochette, distillatrice en chef depuis 2016 de l’entreprise, elle nous en révèle davantage sur cet univers aux arômes variés.
L’histoire d’une rencontre professionnelle aux allures familiales
Après avoir suivi une formation en sommellerie à l'ITHQ (Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec), Isabelle Rochette s’engage sur les routes américaines et canadiennes pour un an à la découverte de vignobles, distilleries et micro-brasseries. Par cette immersion en moto, Isabelle déguste des produits et rencontre des producteur.ices passionné.es avec qui elle noue des belles amitiés. Ses plans de voyage changent lorsque Paul Cirka la prend sous son aile en l’initiant à l’univers de la distillation. D’abord apprentie puis très vite responsable de la distillerie, Isabelle compte parmi les premières femmes distillatrices en chef du Québec. Une profession exigeante mêlant patience, expertise et sélection méticuleuse des produits pour concevoir de tels spiritueux. Ainsi, les Distilleries Cirka apparaissent dans les rayons de la SAQ en mai 2016 à la suite de la sortie de la Vodka Terroir : un premier alcool raffiné et 100% local ! Aujourd’hui, en plus de son fondateur, les Distilleries Cirka sont composées « d’une grosse équipe de 4 personnes en tout » : Victoria -directrice marketing et communication- Isabelle à la distillation ainsi que son assistant Daniel. Une équipe très liée qui travaille entre 10 et 12 heures par jour, démontrant bien que ne s’improvise pas expert.e de la distillation qui veut !
Partager une belle expérience en démystifiant le produit
Le monde des spiritueux n’a rien d’un “boys club”, à la différence du milieu majoritairement masculin qu’elle côtoyait précédemment en œuvrant dans l’industrie du jeu vidéo. Chez Cirka particulièrement, Isabelle ressent être poussée vers l’avant, toute l’équipe consentant justement à casser l’image de la distillerie comme un secteur uniquement masculin. Elle se réjouit que de plus en plus de distillatrices se dédient à ce savoir-faire, confirmant ainsi le caractère chaleureux de l’univers de la distillerie, où l’ouverture et le partage forment des valeurs fortes.
Une certaine démocratisation féminine du whisky s’opère également du côté de la clientèle. Tout comme ce fut le cas il y a quelques années avec la bière, Isabelle remarque qu’un mouvement d’intérêt pour les spiritueux s’élargit : le jugement disparaît peu à peu à l’égard des consommations commandées, par exemple. Au niveau du service aussi, elle soulève que moins de préjugés sont associés à ce que la personne va choisir de boire. “C’est rafraîchissant, j’adore cette ouverture, la curiosité et les propositions montrant qu’il y a plus d’intérêt pour le monde des spiritueux!”
Il faut dire qu’au sein de l’équipe de Cirka, le côté humain prime : parce qu’au-delà de faire un bon produit, il s’agit également d’entendre ce que les gens en pensent. Des visites sont ainsi offertes pour faire connaître les processus de confection des spiritueux et échanger sur le savoir-faire de la maison. “Ça fait du bien de savoir que les gens l’apprécient. Ce qui est intéressant c’est la surprise lors de visites de la distillerie où les gens comprennent que c’est une équipe de 4 personnes qui font tout. Ce que j’adore, c’est le contact avec les gens, voir leurs yeux s’allumer quand on explique le processus de A à Z. C’est une sorte de mini-cours : sur le whisky, la production du moût, la fermentation, la distillation. Tout est expliqué de manière vulgarisée bien sûr, mais assez pour comprendre, réfléchir et développer une curiosité de savoir pour les prochaines visites d’autres distilleries, poser les bonnes questions pour éclairer sur comment les autres procèdent par rapport à nous… C’est tout ce qu’on adore!” Lorsqu’ielles sortent d’ici, ce sont littéralement des ambassadeur.ices de Cirka. Il y a une volonté que tout le monde s’approprie les produits dont le processus de réalisation apparaît plus clairement après avoir plongé dans l’envers du décor de la jolie bouteille de gin ou vodka.
La passion du savoir-faire, aucun compromis possible sur la qualité
Ici, nul besoin de se fixer un échéancier pour les nouveautés, c’est la satisfaction de l’équipe face aux bons produits qui guide le processus. La sortie de chaque alcool prend des mois de planification, de test à la fois de la qualité, du goût et de sa persistance (c’est-à-dire la longueur des arômes en bouche, la persistance à force de mettre de l’air, de respirer…) Le produit doit être présent et plaisant autant au nez qu’en bouche, nous apprend la distillatrice ! Le côté humain et sensoriel tout au long du processus de confection joue un rôle essentiel : le regard, le toucher, le goût, l’odorat sont sollicités. Dès le début du moût jusqu’à la distillation finale, tous les sens sont en alerte. Isabelle explique qu’une belle bibliothèque de sensations se crée pour pouvoir justement maintenir le tout stable et lancer finalement la pleine production.
“La beauté du métier ? On n’arrête jamais d’apprendre, on fait beaucoup de lectures, on visite énormément d’autres distilleries, on parle avec d’autres distillateur.ices également !”
Isabelle confie que ce n’est pas rare d’essayer plusieurs recettes, de faire des tests pendant des mois avant de se rendre compte que finalement… rien ne fonctionne comme désiré. Peu importe les ajustements, l’équilibre n’est pas toujours présent et le produit final ne rend pas compte de bonnes saveurs. Force est de constater qu’après même des mois de travail acharné, l’entêtement ne mène pas à une once de possibilité de sortir un spiritueux pleinement satisfaisant. C’est précisément là où la vocation de distillatrice enseigne l’humilité : « Ça fait mal, car ce sont des mois de recherche, mais même si on s’obstine, ça ne veut pas nécessairement aboutir à un bon alcool! »
Ce qui explique que chaque conception Cirka ait son propre caractère et ses propres challenges en termes de réalisation :
« La vodka je l’aime, car c’est un exercice en précision, chaque étape importe sans marge de manœuvre pour obtenir une bonne vodka. Le gin sauvage, je l’adore justement pour ses 33 aromates, peu importe que ce soit pour préparer la base, quand je le distille ou quand je prépare les gros paniers qu’on met dans une colonne de vapeur au niveau de la distillation: tout sent super bon du début jusqu’à la fin. Le Gin375 est un défi technique également, il demande énormément de temps de préparation: on déshydrate nous-mêmes les griottes et canneberges, ça prend 4 à 6 semaines juste pour faire ça. Le Navy Strength je l’adore pour son côté surprenant, même à 57° d’alcool. C’est un alcool qui reste doux. La vodka chili, ce n’est pas juste une vodka épicée et forte, mais elle a de belles notes de torréfaction, le tout est complexe… Ce sont tous des produits que j’adore ! Le whisky également, j’ai enfin réalisé mon rêve de réaliser un whisky pour non seulement le boire, mais voir aussi qu’on est capable avec de simples grains d’aller chercher des notes tellement complexes grâce à la magie de l'alambic! C’est dur de dire que j’en préfère un seul. Je les aime tous pour des raisons différentes ».
Des sources d’inspiration multiples et interdisciplinaires
Pour ce qui est du gin sauvage, le fondateur Paul avait été inspiré de trouver les arômes s’inspirant de la forêt boréale. Pour le Gin375, l’inspiration du goût est venue après la visite du Château Ramesay et la rencontre d’une historienne passionnée. L’histoire, la géographie, la gastronomie même d’autres spiritueux apparaissent comme des points d’inspiration. Ce sont toutes ces pistes qui sont explorées pour l’agencement moléculaire d’un ensemble de saveurs mêlé à la façon innovante dont elles peuvent être captées dans certains spiritueux. Les recettes ne visent d’ailleurs pas seulement à séduire les palais québécois, Cirka rencontre un certain succès auprès d’une clientèle d’envergure internationale tout en maintenant un standard élevé de qualité. Pour cela, les aromates sont sélectionnés majoritairement ici, mais les saveurs ne se restreignent pas à ce seul approvisionnement.
« Il y a des limites à ce dont on peut se fournir localement, on a beaucoup de super aromates, mais on ne peut pas se limiter à ça. On va se retrouver, tout le monde, avec les mêmes recettes ! Si on est capable de trouver un bon équilibre entre qualité des produits et un bon prix, c’est sûr qu’on va privilégier la production locale. Par contre, il n’y pas le moindre compromis sur la qualité, la base doit être excellente pour faire des produits exceptionnels. D’où notre volonté de tout faire du grain à la bouteille : avec même notre alcool de base, on sait précisément ce que ça goûte et ce qu’on recherche. »
L’heureuse richesse de l’équipe Cirka est d’ailleurs le côté « touche-à-tout » de chaque membre dans des domaines divers : sciences, gastronomie, histoire... Une petite équipe diversifiée, avec des points forts et faiblesses s’agençant assez bien pour se relancer sur plusieurs domaines. La bouteille de verre bien reconnaissable de Cirka a été designée par Paul lui-même. Dernièrement, une agence a aidé la distillerie à “rebrander” les étiquettes grâce à une collaboration mettant de l’avant un graphiste local pour le nouveau design.
Représenter et soutenir le local au-delà de la distillerie
Le monde de la distillerie, nous l’apprend Isabelle, est en évolution très rapide. S’il y a cinq ans, les rencontres d’assemblées générales réunissaient environ 6 personnes, aujourd'hui, près d’une cinquantaine de personnes y prennent part. Entre les actrices et acteurs de ce monde, une allure de grande compétition se profile cependant, la vision générale des gens démontre plutôt que l’industrie se nivelle par le haut, ce n’est pas juste chacun.e qui regarde seulement sa propre petite cour. En ce moment particulièrement, miser sur certains produits locaux prend tout son sens. Pour Isabelle, chaque distillerie tend à se demander quelles répercussions ont leurs décisions dans l’industrie plus globalement. Toutes les maisons ne s’aventurent pas dans la réalisation complète “grain-à-la-bouteille” comme le fait Cirka. La majorité des distilleries se concentrent sur le gin, car c’est un produit assez facile à insérer sur le marché. Le whisky commence aussi à rentrer sur le marché plus facilement, au moins 4 ou 5 distilleries s’y lançant. Isabelle y voit une sorte de seconde vague qui se caractérise aussi par l’apparition de liqueurs ou “spiritueux botaniques”. “On a tous des palais différents alors c’est dur de savoir ce que l’industrie d’ici va représenter, mais j’espère qu’on va dépasser la sursaturation du gin, pour aller vers d’autres choses.” Du côté de Cirka, 3 gins semblent combler l’équipe qui voulait s’assurer que chaque produit soit distinctif et spécialisé avant de voir le jour.
“C’est sûr que le QC est à la fois une jeune et vieille industrie au niveau du whisky. Avant la prohibition, Montréal se démarquait en tant que capitale de l’industrie. Dans les dernières années, ça s’est développé pour d’autres liqueurs, la vodka, le gin. Donc oui, on peut parler de “terre promise” du fait que justement, on est tous.tes des nouveaux dans l’industrie pour la majorité. Mais c’est une jeune industrie offrant beaucoup de possibilités, un grand terrain de jeu où on s’amuse à développer nos propres recettes, tout le monde y déploie sa propre identité. Puis c’est une communauté très ouverte justement, une grande famille, l’entraide est vraiment de mise, tout le monde communique, se soutient, s’il y a quoi que ce soit, on est vraiment présent.es !”
Bonne nouvelle : avant de retrouver le goût de siroter en bars ou resto, Cirka a une boutique en ligne pour magasiner avant de cueillir les commandes directement à la distillerie !
La recommandation d’Isabelle Rochette :
“Mangez et buvez local, le plus possible ! C’est important d’encourager les industries locales si vous en êtes capables ! Ce sont des gens qui aiment ce qu’ielles font, des gens comme vous et moi alors maintenons-les à flot, encourageons-les ! Ce n’est pas juste les bars et les restaurants, ce sont aussi les petites boutiques, les affaires familiales. Je vois beaucoup de petits commerces, des ébénisteries, peintres, comédien.nes : des métiers effectués avec passion. S’il y a des trucs à faire pour les encourager comme acheter de belles pièces locales, je les recommande !”
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RÉDIGÉ PAR
Eloise Le Bihan
CRÉDITS PHOTOS
Cirka