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Les RIDM : une programmation riche à l’authenticité audacieuse

C’est l’heure du grand lancement! On vous emmène aujourd’hui dans les coulisses du monde captivant du documentaire. Dans une entrevue exclusive, nous avons eu le privilège de plonger dans l'univers des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, plus communément connues sous le nom des RIDM. Une rencontre riche en échange, avec le collectif de programmation composé de Marlene Edoyan, Ana Alice de Morais et Hubert Sabino-Brunette, où on explore avec eux les challenges stimulants liés à leurs missions, ainsi que les moments palpitants qui jalonnent la création de cette programmation audacieuse. En bref, une immersion totale dans l'art de sélectionner des œuvres profondes et significatives, qui éclairent, inspirent et repoussent les frontières du film documentaire contemporain. Faites place à une équipe passionnée, déterminée à faire des RIDM bien plus qu'un festival mais une expérience cinématographique inoubliable.

Hubert Sabino-Brunette, Marlene Edoyan, Ana Alice de Morais du collectif de programmation des RIDM

Vous pouvez nous en dire plus sur la genèse des RIDM et comment l'idée a été initialement conçue?

M. : “Tout a commencé avec un groupe de cinéastes et producteurs du Québec qui souhaitait avoir son propre festival à l’échelle québécoise. À l'époque, il y avait le Hot Docs qui venait de commencer à Toronto. Parmi ce groupe, il y avait Malcolm Guy avec qui j’ai travaillé pendant 8 ans comme productrice dans sa boîte multi-monde. J’en parle car il est l’un des fondateurs des RIDM et il m’a donné envie d’y participer à partir de 2006, le temps où j’ai commencé à travailler dans le domaine du documentaire. D’autres personnes faisaient partie de ce groupe comme Martin Duckworth et Magnus Isacsson. Ils ont donc décidé de se réunir et de monter un projet, dans une idée de get together : créer un ensemble pour amener la discussion. Beaucoup de ces films, dans les années 80-90, étaient concentrés sur le militantisme. La discussion était donc très importante pour eux. Et puis, dès le début, il y a eu cet engagement vers l’international. D’apporter cette ouverture aux œuvres extérieures.”

H. : “L’idée, c’était de comprendre ce qu’il se faisait ailleurs, de voir comment le cinéma québécois pouvait rayonner à l’extérieur. Aujourd’hui, on essaie vraiment de garder l’essence des RIDM autour de ces échanges, de ces rencontres. D’où son nom.”

Pouvez-vous nous parler des RIDM aujourd’hui, après 26 ans d’existence?

M. : “Les RIDM suivent la vague, elles suivent les changements à travers les années. Avant, les documentaires étaient surtout des films produits par les télévisions. Aujourd’hui, on voit beaucoup plus de films exploratoires, concepts, moins centrés sur des personnages.”

A.-A. : “Depuis à peu près 10 ans, il y a aussi eu un changement dans les niches des festivals documentaires. Aujourd’hui, on parle un langage plus expérimental, hybride (mélanger la fiction et le documentaire, NDRL). Ces films-là ont toujours existé. Certains, plus audacieux, n’étaient pas dans les circuits nichés. Je pense que c'est ça la nouveauté. Ce n’est pas seulement propre aux RIDM. C’est une vague qui vient avec plusieurs autres festivals internationaux qu’on appelle des festivals du “réel” comme Visions du Réel.

M. : “Je me rappelle aussi qu’il y a dix ans, avec le changement de direction artistique, on a senti qu’une nouvelle ligne éditoriale s’est introduite. C’était intéressant car ça nous a permis de nous ouvrir à l’extérieur, allant découvrir d’autres programmations. Il y avait plus de place aux films “moins formatés”. Ce qui coïncidait avec tous les changements émergents.”

Crédit photo : Maryse Boyce

Avec une sélection de 138 films en provenance de 47 pays (dont 52 œuvres nationales), quels sont les éléments clés que vous recherchez dans la programmation d’un documentaire?

M. : “C’est vraiment étape par étape. Comme c’est maintenant la troisième année que nous avons formé ce collectif de programmation, on arrive aujourd’hui à bien comprendre l’enjeu. Tous les sujets nous intéressent. On se base aussi sur ce qui nous touche. Il y a des années, d’autres sujets vont être plus présents, comme il y a deux ans avec la Covid. L’année passée, on a beaucoup axé sur l’hybridité des films car nombreux sont ceux qui étaient construits sous ce format. Alors on a décidé de mettre l’accent dessus. Une fois qu’on fait notre première short list, là on commence à en dégager des tendances. Et on essaie toujours de trouver des petits umbrellas pour réussir à les organiser ensemble.”

A.-A. : “On essaie de construire notre programmation en pensant surtout à la diversité non pas seulement thématique mais aussi à la diversité des approches, de la narration, de la représentation géographique. On essaie d’avoir au moins quelques films de chaque continent, et dans un idéal, de chaque territoire.”

H. : “Ça vient de notre propre volonté. C’est un besoin pour nous d’organiser un festival qui a différentes voix, différents sujets, différentes approches. Mais il faut aller les chercher. On veut donner la parole aux gens de ces communautés-là, qui vivent de l’intérieur certains enjeux.”

Et Comment allez-vous prospecter ces documentaires-là?

H. : “On se rend activement à des festivals, on prend des contacts, on rencontre du monde. Cette année, on a eu la chance d’être invités dans 4 festivals internationaux. De notre côté, on va habituellement prospecter dans ces évènements mais cette année, on a participé à des jurys au Brésil, en Corée du Sud, au Kosovo, au Mexique… On était sur des jurys locaux ce qui fait que pendant 7 à 8 jours, on a eu la projection de 25 films de la région. Si on se limite aux festivals européens, on ne peut pas voir ce qu’il se fait ailleurs.”

A.-A. : “On souhaite apporter au public montréalais des œuvres dont il n’a pas forcément accès. On a un souci d’aller chercher des récits vraiment authentiques. Il y a aussi les soumissions, évidemment. On reçoit presque 1000 soumissions par an. Et même parmi les soumissions, il y a une balance à faire, car elles sont payantes donc on sait que les cinéastes de pays défavorisés ne sont pas forcément en mesure de candidater.”

H. : “Chaque festival a aussi une volonté de promouvoir les cinéastes locaux. Aux RIDM, le cinéma canadien québécois est très présent. C’est 30 à 40% de la programmation. C’est justement le moyen de leur faire un spotlight. On invite des producteurs.trices d’autres festivals pour les mettre en contact et faire voyager ces films-là.”

M. : “C’est un très bon point car notre mission n’est pas juste de programmer. On est un pont entre les cinéastes et certains groupes auxquels ils n’ont pas toujours accès. Le Forum RIDM en est un très bon exemple. Son rôle est de présenter des oeuvres et de les faire sortir d’ici. Pour les jeunes, c’est important aussi de voir ce qui est fait ailleurs.”

A.-A. : “On programme aussi des films canadiens québécois dans d’autres festivals. Cette année, on a fait deux rétrospectives. Une avec Dokufest au Kosovo et une autre au Brésil. C’est un genre d’échange de visibilité entre chaque festival national.”

Comment équilibrez-vous vos choix entre documentaires populaires et œuvres plus expérimentales?

H. : “C’est une bonne question. Je pense qu’on n’a pas de barrières sur ce qui est émergent ou non. On se base surtout sur la qualité de l'œuvre et ce qui résonne en nous. L’équilibre se fait naturellement.”

M. : “Puis il y a aussi des œuvres qui shine et pour lesquelles tu peux pas passer à côté car elles sont juste magnifiques.”

A.-A. : “Dans la partie nationale des RIDM, je pense qu’il est de notre responsabilité de mettre l’accent sur les nouveaux talents d’ici, avec la compétition Nouveaux Regards pour des premières de longs métrages.”

H. : “Il y a aussi les courts métrages qui sont une façon d’accompagner ces artistes dans la durée. A travers la Soirée de la relève Radio-Canada, on présente des films d’étudiants ou de sortants d’école, qu’on essaie ensuite d’accompagner jusqu’à Nouveaux Regards et après dans d’autres compétitions.”

C’est quoi la part de risque que vous êtes prêt.e.s à prendre pour un film particulièrement atypique?

A.-A. : “J’ose dire qu’on a vraiment pas peur. On aime les risques car on sait que notre public est tout à fait capable d’assumer ces choix-là et de se retrouver parmi cette programmation. Elle se veut audacieuse, hybride, diversifiée. N’importe quel public peut trouver son bonheur parmi la sélection.”

M. : “C’est vrai qu’on aime les choses difficiles. On aime se challenger. On peut sélectionner des films qui vont être très longs ou qui ont une forme particulière dans leur construction, leur approche…”

H. : “Je pense qu’on travaille aussi pour orienter le public, lui donner des pistes de compréhension à travers les descriptions des synopsis, la catégorisation des films, etc.”

En parlant de ça, quel est pour vous le documentaire le plus inattendu à absolument découvrir cette année?

M. : “Je dirais “Pure Unknown” de Valentina Cicogna et Mattia Colombo. Le documentaire est centré sur Cristina Cattaneo, médecin légiste italienne, qui examine et identifie les corps de migrant.e.s décédé.e.s le long des côtes de la Méditerranée. Quand tu regardes ce documentaire, c’est comme un film italien très classique dans sa forme. Tandis que “Notes from Eremocene” de Viera Cákanyová est très expérimental, rien que dans la façon dont le sujet est traité : une personne qui parle avec une Intelligence Artificielle et qui se retrouve dans un futur dystopique.”

A.-A. : “Pour moi, “Knit's Island” de Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L'helgoualc'h. C’est un film tourné entièrement dans un jeu vidéo en ligne avec une thématique survivaliste. Le cinéaste fait la rencontre de joueurs.ses dont il documente leur quotidien virtuel. C’est un film très profond et contemplatif, qui explore les limites de cet exutoire.”

M. : “Il y a aussi des oeuvres moins évidentes comme “La Bonga” de Sebastián Pinzón Silva et Canela Reyes qui m’a énormément marquée. C’est un film très conceptuel qui parle d’une communauté colombienne forcée de quitter sa région. L’ambiance est presque cauchemardesque. La profondeur est inattendue. C’est dur à comprendre et tu te dis : comment les cinéastes sont arrivés à concevoir ce genre de film? L’approche est extrêmement novatrice.”

H. : “Pour ma part, je dirais les oeuvres du cinéaste Sky Hopinka, dont on va consacrer toute une rétrospective. C’est un cinéaste qui a une pratique multidisciplinaire, avec une carrière autant dans le cinéma que dans la musique et en musée. On en profite pour présenter, en deux blocs, 10 de ses courts métrages et 1 long métrage. Le cinéaste sera présent pour discuter avec le public. On aura également la présence d’une de ses installations.”

Dans quelle mesure les RIDM établissent-elles des liens entre le film documentaire et diverses pratiques artistiques ?

A.-A. : “Ça fait justement partie d’un volet qu’on a mis en place l’année passée “Décadrer le documentaire”. C’est un volet qui explore les différents médiums, arts et la manière dont les documentaires s’en servent.”

H. : “L’idée, c’est d’essayer de décloisonner les pratiques. L’exemple le plus concret est le panel “Table ronde” qui va explorer ce sujet avec des artistes aux pratiques plurielles. La danse, avec la présence d’un chorégraphe sur la thématique “Comment le documentaire s’insère dans la danse?”. Le théâtre documentaire, avec l’équipe de Pleurer Dans’ Douche. Des performances de pellicules en direct avec le cinéaste Karl Lemieux qui accompagnera les groupes de musique présents. On aura aussi un concert hommage à Chantal Akerman, décédée il y a une dizaine d’années. C’est sa conjointe, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, qui va interpréter et improviser sur des extraits restaurés.”

A.-A. : “On aura aussi plusieurs sessions d’écoute de documentaires sonores, notamment une en partenariat avec Transistor Média qui est un organisme de création, de production et de diffusion audionumérique à Gatineau.”

On parlait de documentaires se rattachant à l’univers de l’IA et du jeu vidéo…

Comment les RIDM intègrent-elles les avancées technologiques dans leur approche? Vous avez d’autres exemples de films qui abordent ce sujet?

M. : “On aura justement une discussion à ce propos, “Le documentaire à l’ère numérique”, avec les cinéastes de “Knit’s Island” et “Notes for Eremocene”. C’est dire si on pense vraiment à tout. *rires*”

A.-A. : “Sinon, disons qu’on s’adapte naturellement à ces évolutions qui viennent à nous. On a des films qui dealent justement avec les technologies d’IA, autant dans la narration que dans la production.”

H. : “Un exemple de film qui se lie bien à ce sujet, “En attendant les robots” de Natan Castay, qui parle des dessous de l’utilisation des applications en ligne. On y suit la réalité des turkers, ces individus qui accomplissent des micro tâches virtuelles comme le floutage des visages sur Google Street View. C’est pas un film qui se nourrit techniquement autour de ça mais c’est une préoccupation qui est présente.”

A.-A. : “Il y a aussi “Fauna” de Pau Faus, qui aborde la comparaison de deux mondes avec d’un côté un berger et son troupeau, et de l’autre, un laboratoire consacré aux expérimentations animales. C’est un regard assez ironique sur ces deux mondes qui coexistent, mais pas pour longtemps. Je pensais d’ailleurs que ce laboratoire était fictionnel mais pas du tout.”

C’est quoi les tendances émergentes qui vous intéressent tout particulièrement dans le milieu du documentaire? pourquoi?

A.-A. : “J’aime les films qui mettent en évidence le fait que le documentaire n'est pas un genre mais un médium. En exemple, il y a le documentaire chilien “In the shadow of light” de Ignacia Merino Bustos et Isabel Reyes Bustos qui se construit autour d’une atmosphère assez suspens. Il joue avec les codes des films d’horreur.”

Malqueridas” de Tana Gilbert est un autre film chilien qui raconte le quotidien de mères incarcérées. Au Chili, ces mères peuvent rester avec leur enfant jusqu’à ce qu’ils aient 2 ans. Après, c’est la séparation inévitable. L’autrice a donc rassemblé des archives filmées clandestinement au téléphone par ces femmes-là. Ce sont des archives avec très peu de qualité numérique, si bien qu'on dirait que ces images sont comme des tableaux abstraits.”

H. : “Sinon, pas nécessairement dans les tendances mais il y a vraiment aujourd’hui une grande richesse de choix narratif et esthétique entre le numérique, la pellicule, les archives, etc. Cette année, il y a beaucoup de films tournés à la pellicule. C’est pas uniquement un choix visuel mais ça fait partie de la réflexion du sujet, de la rythmique du documentaire. J’aime aussi beaucoup dans la programmation de cette année le fait de penser la politique autrement, de penser l'engagement et le militantisme autrement. C’est quelque chose qui me touche particulièrement, voir des films avec des portées, des messages à véhiculer tout en cherchant la manière innovante de le faire.”

Qu’est-ce qu’on peut souhaiter aux RIDM pour cette édition et pour la suite?

H. : “La rencontre entre le public et les œuvres. Dès les premières projections, quand on voit les réactions, le fait de pouvoir discuter des films avec les gens, c'est là que ça m’anime. Donc j’espère que notre sélection va réussir à trouver ces publics ou que ces publics vont réussir à trouver ces films.”

M. : “Pour moi, ce serait aussi d’apporter plus de rétrospectives inspirantes où le cinéaste est présent. Quelqu’un qu’il ne faut pas ignorer est Peter Mettler, le grand cinéaste canado-suisse. Il y aura une classe de maître avec lui cette année. C’est un cinéaste qui fait des projets sur plusieurs années avec un style très personnalisé. Et sinon, comme Hubert, je dirais surtout la connexion avec notre public. On travaille tellement la programmation de manière isolée toute l’année que d’enfin la partager est la meilleure des sensations. Surtout de savoir que le public puisse découvrir toutes ces projections pour la toute première fois!”

H. : “Je rajouterais qu’il y a aussi cet aspect de convivialité qu’on aime chez les RIDM. Ça reste un festival à échelle humaine dans sa manière d’exister. On a beaucoup de projections à la cinémathèque québécoise, qui est aussi notre quartier général pour l’évènement. Les gens vont voir un film, peuvent aller prendre une bière tout en parlant avec les autres participant.e.s, les cinéastes, etc.”

Rendez-vous donc dès aujourd’hui et ce jusqu’au 26 novembre pour découvrir l’univers du film documentaire sous son meilleur jour!

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