Hof Kelsten: L’écosystème gastronomique de Montréal du point de vue du boulanger du Plateau
Jeffrey Finkelstein fait partie des passionnés qui mêlent savoir-faire, amour de la gastronomie d’ici et d’ailleurs avec goût pour les bons produits. La pause contrainte par la pandémie amène cet habitué des cuisines du monde entier à partager son expérience de ce qu’il nomme «l’écosystème gastronomique local ».
La boulangerie Hof Kelsten ouverte en 2013, au numéro 4524 du Boulevard Saint-Laurent, reprend progressivement ses activités après sa somnolence forcée des derniers mois. Idéalement située dans un quartier caractérisé par sa mixité culturelle, cette première boutique varie son offre des pains plus classiques aux variantes célébrant diverses inspirations culinaires du monde et pour toutes sortes de goûts ! Pour ne choisir qu’une découverte, les croissants à la framboise et aux éclats d’amandes y sont particulièrement savoureux ! Imagine alors que 2 blocs plus bas que la boulangerie, le grand-père du chef débarquait de Russie à 18 ans dans les années 1920. Une histoire personnelle qui l’a amené à pratiquer 6 langues, parcourir le monde et maintenir son désir d’honorer les cultures par la cuisine.
Jeffrey a eu à cœur de prendre le temps d’assurer la santé de son staff en priorité avant d’envisager la suite pour son commerce. Le gros challenge du monde de la restauration a été de tout devoir fermer en 72 heures. Hof Kelsten fournit déjà plusieurs cafés ou grandes tables de la ville en diverses pâtisseries et pains. Quand les activités ont commencé à reprendre, Jeffrey s’est lancé dans l’élargissement des livraisons aux domiciles. C’était, selon lui, la suite logique d’offrir aux gens ce service !
« J’ai apprécié le challenge, tu vois qui sont tes ami.es, tes client.es fidèles, dans ta famille ou tes proches… Je le vois vraiment comme un challenge. Ce n’était pas juste un point de vente ou un restaurant, on était ouvert aux opportunités du marché, on a une équipe de livraison, on sait exactement ce qu’on doit faire. »
Alors depuis quelques semaines, Hof Kelsten Rations permet à la clientèle de magasiner en ligne les produits de la boulangerie. Le principe est simple : il y a 2 boutons, tu choisis la date et fais le check out. En plus de l’espace qui leur est dédié au Timeout Market et de la boutique de Saint-Laurent, ce service de livraison devrait tendre à devenir permanent.
Pour les coutumier.ères de Hof Kelsten, cela a permis de garder un certain lien, pour les autres, il est possible d’expérimenter le raffinement de toutes ces saveurs à la maison ! Parmi ce qui peut être fait chez soi, soupe aux boules matzo, chili végé ou encore pâtisseries prêtes à être enfournées…
La clef du succès du chef tient de sa capacité à se réinventer tout en considérant l’ensemble de la communauté de la restauration, pour sûr ! Mais aussi, il tient à souligner l’importance de supporter les commerces locaux, ses fournisseurs.euses, les producteurs.ices.
« Si je coupe l’écosystème alors les personnes à qui j’achète du chocolat ou de la farine, qu’est-ce qu’elles vont faire ? On est fournisseur, mais on en a aussi des fournisseurs ! »
L’écosystème gastronomique de Montréal auquel Jeffrey tient, il le défend au regard de l’importance du local. La pandémie l’a conforté dans son choix de soutenir les gens depuis la production des matières premières à la livraison. C’est une histoire d’équilibre, dans lequel Hof Kelsten est imbriqué: acheteurs.euses et fournisseurs.euses, c’est toute une communauté qui fait vibrer cet écosystème.
« Je ne voulais pas faire une balance entre payer mes loyers ou payer mes fournisseurs. Si je ne les paie pas, je ne peux pas faire de pain… La boulangerie peut juste survivre un certain moment. On a été chanceux que le gouvernement nous aide un peu. C’est un peu comme choisir lequel de tes enfants tu aimes le moins, c’est un peu un jeu comme ça. »
Ce lien qui n’est pas sans rappeler une ambiance d’une grande famille, Jeffrey ne la retrouve nulle part ailleurs qu’à Montréal.
En ayant été formé d’abord à l’école culinaire de New York, dans plusieurs restaurants étoilés en Europe, Californie ou en Inde, le boulanger-voyageur revient toujours dans sa ville natale. Il se souvient que des professeurs de New York lui avaient demandé s’il connaissait le restaurant Pied de Cochon, l’un des meilleurs bistrots du monde selon un article américain paru à cette époque. « C’est la première fois que j’entendais parler du Canada et de Montréal dans ce monde-là. Certes, il y a des grands noms du niveau gastro mondiale mais ici, on peut avoir la nourriture 5 étoiles tout en pouvant être relax ou jouer de la musique avec le staff. » Aujourd’hui, après y avoir travaillé, il fournit le mythique resto en pains ainsi que plusieurs des meilleures tables de la ville comme Joe Beef ou Toqué!
Le monde gastronomique de Montréal amène ainsi les destins à se recroiser, beaucoup ont déjà travaillé pour les grandes tables de la ville. C’est pourquoi le Timeout Market montre que toutes et tous peuvent travailler ensemble, comme si ça avait déjà été fait auparavant. Quand il avait 24 ans, il était apprenti et travaillait pour Normand Laprise [chef des restaurants Toqué!, Beau Mont…] et c’est au Timeout Market qu’il a commencé à le voir chaque jour, quelques années plus tard… Pareil pour Charles-Antoine Crête quand il était sous-chef à Toqué!. Maintenant, les deux chefs sont partenaires dans le projet Foodchain... Les restos de Montréal, c’est un très petit monde !
Quant au futur, Jeffrey le voit plus local, plus bio. Le projet des prochaines années sera de diviser pâtisseries et pains. C’est-à-dire qu’au Timeout, ce sera Hof Sucrée, d’ici à ce que la nouvelle place finisse d’équiper sa cuisine. Chez lui comme dans ses boulangeries, on pratique avant tout le bon jugement pour maintenir la balance local/bio/haute qualité, ce qui explique aussi de mettre le prix pour réunir ces conditions optimales.
« Il faut continuer et penser pour la suite, après la pandémie. Puis comme le rhume, on va devoir peut-être se faire à l’idée que la vie doit continuer, qu’il va y avoir de meilleurs temps. Il faut s’adapter et c’est un moment pour prendre soin de l’équilibre de l’écosystème, que tout le monde soit en santé pour mieux continuer ensemble. On va survivre ! »
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RÉDIGÉ PAR
Eloise Le Bihan
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