Guillaume Cantin : La Transformerie s’élève contre le gaspillage alimentaire

© Maude Chauvin

© Maude Chauvin

Le chef Guillaume Cantin est coinitiateur d’un projet œuvrant à lutter contre la perte de denrées alimentaires : la Transformerie.

 

Gagnant de la première édition de l’émission les Chefs ! et originaire de Lévis (un parcours similaire à celui d’Ann-Rika du Café Relais O’Ravito), Guillaume Cantin œuvre 17 ans en restauration et participe à de nombreuses compétitions culinaires avant de donner une nouvelle dimension à sa pratique culinaire. Forcé de prendre du recul à cause de problèmes de santé, son ambition première est d’ouvrir un resto 0 déchet avec de la nourriture locale basée sur l’histoire culinaire québécoise. L’ancien chef des 400 Coups a le goût d’intégrer du sens à ses projets, de mettre ses compétences au service d’un monde plus résilient tout en transmettant un meilleur système aux générations futures. C’est dans cette approche qu’il relève le pari que son ami Thibault Renouf lui lance : préparer un souper gastronomique uniquement à partir de déchets alimentaires. « En toute sincérité, ça ne me tentait pas... En tant que cuisinier, il m’arrive de jeter de la nourriture parce que celle-ci n’est plus bonne, qu’on ne peut plus rien en faire. Mais [Thibault] sait que j’aime les défis avec mon parcours de compétition alors en 5 minutes d’appel j’ai embarqué, il m’avait convaincu ! La semaine d’après on s’est littéralement jeté dans les conteneurs des épiceries, fruiteries ! »

Se voyant contraints de remarquer non seulement la quantité, mais aussi la qualité des produits, le défi est relevé avec succès, renforçant l’intérêt que les deux amis portent à l’enjeu du gaspillage alimentaire.

Soucieux d’une approche collaborative, tous les deux partent à la rencontre des commerces pour comprendre les raisons pour lesquelles autant de nourriture en très bon état était jetée. Au début de manière informelle, en parlant avec les gérant.es, employé.es ou propriétaires, ils discutent ouvertement de la problématique du gaspillage alimentaire. Par la suite, des entrevues ont été formalisées pour creuser et mieux écouter la réalité de la vente afin de faire des commerçant.es des allié.es pour lutter contre le gaspillage. Ainsi, dans une logique d’économie circulaire, l’échange est nécessaire pour récolter les produits en vue de les transformer plutôt que de les laisser partir dans les conteneurs. La Transformerie prend ainsi forme et l’organisme est fondé le 17 juillet 2017. 

« Depuis le début du projet des Rescapés, on est rendus à plus de 60 tonnes de nourriture collectée, avec des collectes chaque dimanche. [Pour les 7 commerces partenaires : environ 800kg, à cela s’ajoutent les autres dons dans la semaine: atteignant parfois 1.2 tonne de nourriture reçue par semaine]. »

Les co-initeurs.ice

Les co-initeurs.ice

La solution que propose la Transformerie se déploie sur trois dimensions.

La valorisation d’aliments de qualité par la transformation

Le programme des Rescapés métamorphose les fruits collectés (et bientôt les légumes, dans une nouvelle gamme salée!) en des tartinades pleines de saveurs. Ces préparations anti-gaspi utilisent la technique de la conserve pour donner une seconde vie aux denrées mal-aimées des rayons d’épiceries. « Le projet des Rescapés s’est imposé comme une solution réactive face au sujet du gaspillage, on a eu le réflexe de transformer ces aliments en mettant en lumière leur qualité. Cela représente 20% de la nourriture que l’on collecte. »

La collecte pour le don alimentaire

La majorité des aliments bruts récupérés (72%) est redistribuée à des organismes de dépannage alimentaire. L’organisme de bienfaisance joue le rôle d’intermédiaire entre leurs partenaires communautaires (La Maisonnette des parents ou encore le Centre de ressources et d'action communautaire de la Petite-Patrie) et les commerces afin d’élaborer un réseau engagé et sensible à la cause. « Notre démarche s’inscrit dans une relation de confiance avec les commerçant.es. En adoptant une approche non moralisatrice, on veut aider les commerces à réduire le gaspillage à la source.”

La compréhension profonde du phénomène : un laboratoire pour agir à la source du gaspillage

Guillaume explique humblement que les Rescapés ne forment qu’un programme dans l’ensemble de la mission que s’est donnée l’organisme. « Ce serait un cercle vicieux de souhaiter du gaspillage dans le seul but de faire grandir ce projet. Notre laboratoire se veut plus dans la compréhension de la problématique pour ensuite y travailler réellement avec la communauté, évaluer ou optimiser des solutions plus probantes. Pour avoir de l’impact, il s’agit plus de tomber en amour avec la problématique qu’avec une solution. » L’équipe cherche donc à caractériser la qualité des invendus, elle récolte des données sur les quantités et les types de denrées gaspillées afin de cibler des pratiques mises en place, ici ou ailleurs, grâce à l’aide d’autres acteur.ices pouvant aider avec leur expertise. Le laboratoire s’ancre dans un momentum fort à l’échelle de la ville de Montréal. En effet, la ville s’est engagée dans la réduction du gaspillage alimentaire de 50% à l’horizon 2030 tout en rejoignant le regroupement « C40 Cities », un réseau de 40 villes s’associant autour d’objectifs environnementaux.

« Pour nous, c’est important d’avancer pour internaliser la problématique dans les murs des commerces. On travaille sur un laboratoire sur la réduction du gaspillage alimentaire avec la perspective de travailler sur le modèle du “living lab”. Le but est à terme de développer des solutions avec les personnes principalement concernées, pour avoir le plus d’impact possible pour viser la prévention, la résolution à la source du gaspillage. »

Tarte aux pommes - © Bénédicte Brocard..jpg

© Bénédicte Brocard

Une communauté d’entraide fondée sur des valeurs convergentes

Le projet fonctionne également grâce à une communauté très impliquée de plus de 600 bénévoles. Chaque semaine, une quinzaine de personnes rejoignent la collecte, aident à trier les invendus, étiqueter les pots ou préparer les recettes. Journée de collecte, le dimanche apparaît aussi comme un jour de sensibilisation au gaspillage parce que le bénévolat est l’occasion de prendre conscience de la montage de denrées collectées ainsi que de leur qualité. En moyenne, sur l’ensemble des produits conservés pour les tartinades, une minime partie (7.3%) est mise au compost (aliments ayant péri, moisissures…). « L’équipe travaille avec du matériel de laboratoire : c'est-à-dire que le ph est mesuré afin de s’assurer que les produits sont bons à mettre en conserve (il faut empoter les produits en deçà de 3.9, plus le ph est bas, plus la préparation est acide.), la consistance des purées est vérifiée ainsi que d’autres éléments comme la densité de sucre. »

Le reste est remis en camion pour les dons tandis que les prochaines étapes de nettoyage et de conservation débutent dans les cuisines partagées de la Transformerie. Le processus se poursuit les jours qui suivent avec les premières transformations brutes des fruits sauvés en purées de fruits ou encore en jus. L’équipe de cuisine met ensuite les recettes en pot jusqu’au jeudi, journée dédiée aux livraisons assurées en camion électrique pour la partie centrale de Montréal.

En plus de l’aide bénévole, l’équipe de la Transformerie est composée de 6 personnes dont deux cuisiniers, un chauffeur, Guillaume (le directeur général), un aide-cuisinier ainsi que Fanny en charge du marketing, impliquée dans le suivi terrain auprès des partenaires et responsable de la coordination des bénévoles. Pour promouvoir des valeurs fidèles à celles défendues par l’organisme, Guillaume veille à s’entourer d’humains dont les engagements personnels rejoignent la contestation du gaspillage de denrées. « Ce qui fait la différence dans les projets, ce sont les humains, on va plus loin ensemble, plus rapidement, comme me l’affirmait mon ami Daniel Normandin [initiateur de l’EDDEC en économie circulaire] Nous nous sommes d’abord donnés le temps de mener des réflexions fixant de bonnes bases, utiles pour embarquer les gens dans le projet, puis il a fallu s’entourer de bonnes personnes et assurer un suivi dans le temps. On se rencontre chaque semaine, tout le monde peut mettre des points à l’ordre du jour. Puis aussi dans les discussions informelles, pour prendre le pouls, savoir comment les gens se sentent et s’il faut aviser le tir, rien n’est coulé dans le béton. » L’équipe est d’ailleurs accompagnée par un coach de gestion pour la guider au sujet des comportements à valoriser à l’interne tels que l’entraide ou l’écoute de chacun.e. 

© Rachel Cheng

© Rachel Cheng

Suggestion de spot:

Plus qu’un lieu, c’est une offre de bénévolat et d’implication que suggère Guillaume : « la pandémie cloisonne un peu plus les gens chez soi, il y a moins de chances de rencontrer des gens et encore moins de faire des rencontres intergénérationnelles. La beauté de notre bénévolat, c’est que c’est multigénérationnel, l’équipe va de 20 ans à 70 ans. Les gens viennent, aiment ça, partagent leurs bons retours sur l’expérience et il y a une multitude de profils ! Ça fait des rencontres incroyables puis ce sont des gens qui ont des valeurs similaires, mais venant de spectres très différents. On accepte tout le monde sur le groupe en ligne : « La Transformerie – bénévolat » ! »


SUIVEZ La Transformerie
Instagram Facebook | Site web



RÉDIGÉ PAR
Eloise Le Bihan

Précédent
Précédent

Cinéma Public : pour un cinéma vivant à Montréal !

Suivant
Suivant

PASCAL LE BOUCHER : un carnivore éco-responsable